Aterrissage de Moineaute

Ca devait être ici... du moins par là. C'est ce qu'en tous cas lui avait dit le mendiant devant l'église. Ju ? une église ? Certes c'est chose surprenante de la voir trainer par là, *quoique...* mais elle passait seulement devant et du coup, comme c'est là que crèchent les miséreux, elle en avait trouvé un pour lui indiquer la route.

Le gueux là ! oui oui toi ! Elle s'était approché de lui. Dis moi quel chemin prendre pour rejoindre la Seigneurie de Moulins-Engilbert...

Ce n'était pas du plus délicat de demander ceci à un bougre réduit à mendier devant l'eglise, mais Ju, quoique pas foncièrement mauvaise ou moqueuse l'avait quand même fait, juste parce qu'elle n'était pas d'humeur sociable. Le seul animal de trait qu'elle avait su trouver, cette Bête des Enfers, avait meurtri ses menues cuisses blanches, il fallait que quelqu'un partage sa mauvaise humeur... Et ne dit-on pas que les choses bien partagées font du bien ?

C'était donc par là que lui avait dit le pouilleux : Porte Sud de la ville, poursuivre le chemin caillouteux sur une courte distance, jusqu'au grand maronnier où là elle devrait suivre le chemin bordé de bois.

Elle l'avait pourtant fait... Ju, agacée, arrêta sa monture et regarda autour d'elle. Un soupir au bord des lèvres elle talonna la bestiole qui la portait et poursuivit sa route, n'ayant rien de mieux à faire... Plusieurs minutes plus tard, caché derrière les plus hautes branches des arbres qui entouraient Moineaute, le château recherché se laissa entrapercevoir. Ju sourit, elle n'avait pas été trompée. Nouvel à-coup plus volontaire que le premier sur les flancs de sa monture et bientôt elle fut arrivée devant les grilles.

Elle se laissa glisser du cheval et gémit dans un souffle, mains sur les genoux, usée de la promenade hyppique. Se redressant, Ju arrêta son regard sur l'animal, elle l'aurait presque félicité de l'avoir menée jusqu'ici, mais un autre qu'elle le fera bien mieux alors elle abandonna l'idée et rejoignit les herses. Elle aperçut un garde adossé à un mur en pierre... *Est-ce qu'il est assoupi ou bien ?...* Ju fronça les sourcils et mains en porte-voix, le hêla :

Hola ! Garde ! Je suis Jusoor... Laisse-moi entrer et saluer le maître des lieux !

Ju laissa l'homme qui se tenait devant elle déblatérer et se donner de l'importance... Sourire aux lèvres depuis que le "catin" avait glissé dans son oreille, elle faisait mine de porter un intérêt certain à la bile nauséabonde que le pendard articulait. Et elle l'encourageait, silencieusement, à croire devenir possible ce qu'il bavait, comme s'il eut pu ne serait-ce qu'oser imaginer effleurer sa peau souple et satinée.

Son regard devait être bien convainquant et son sourire enjoleur car l'homme y crût. Pour lui, tout était réalisable, voila qu'il lui demanderait presque un droit de cuissage...

*Vil faquin, la terre va te sembler bien basse quand la chute aura été...* Ju sentit paradoxalement son sourire s'élargir rien qu'à cette idée.

L'homme se tenait maintenant tout près de la grille et jouant de cela, Ju s'avança d'un pas, puis deux, "contrainte" pour pouvoir passer de se tenir de profil, offrant au graveleux soldat l'éclat porcelaine de sa gorge. Une seconde plus tard, tout près, presque contre lui, Ju accrocha le regard du soldat et ralentit son mouvement, offrant perversement mille chimères au maraud.

Enfin le temps reprit son cours et avec lui Ju son avancée. Il ne lui restait plus qu'à parcourir les graviers qui faisaient la cour du chateau, mais avant cela, elle n'oublia pas de fouler malencontreusement la chausse du soldat. L'air de rien, sans même un mot pour lui elle rejoignit les lourdes portes.